TEXTES CRITIQUES

>> ADORAE CURIEUX ZAMOK – MURIEL CERF

LES SPHINGES

Juste avant, ou juste après l’initiation. Dangereuses, divines, qui ont peur de leur pouvoir.

Regard méphitique d’une sphinge de douze ans. Œil affûté, plein de fièvres brouillonnes. À l’âge du merveilleux, du monstrueux, de l’anomalique, ces petites filles, hiéroglyphes d’attente, serrent leurs trésors dans des doigts encrés. Visages bousculés, auréolés de perfidie, ébauches plus parfaites que le résultat final, car ébréchées d’une indicible grâce. Tu es yin et yang. Chair et poisson, figue et raisin. Sorcière. Plus belle, toi la petite fille aux allumettes, Iphigénie, Cinderella, que les chefs-d’œuvre classiques, plus belle que l’heure de midi, plus belle que l’harmonie euclidienne, plus belle, ô combien !, que la raison des plus forts.

Pour un ans ou deux, tu auras encore la souveraineté de ce qui est à naître. Après, tu risques de perdre cet éclat d’absolu, cette candeur vitrifiée, ce sens du mensonge et ce goût du labyrinthe. Après, femelle tu seras, dans le pire des cas, jeune fille dans le meilleur.

Visages oblatifs, chahutés, dissymétriques ou lisses comme des silex. Questionneurs ou détenteurs d’une science qui ne compte pour personne, d’un secret paumé comme celui du livre des Morts tibétains. Tes doigts poissent comme des bourgeons drus, il y a autour de tes ongles des petites peaux, écorchures de printemps. Tu me jettes un regard corrosif, acide, très grave, et puis, fin des solennités, celui d’un faon fléché. Ces yeux de chasse et de traque : ta façon de te protéger, de t’embusquer, puis de te livrer ou d’attaquer, puis de retourner au territoire où tu vis avec tes semblables, aux lisières de l’ombre. Trente-cinq kilos de songes, bruns, blonds, châtains, roux, la photo ne le dit pas. Feuilleter cet album, c’est lire les lames du tarot, ou voyager à travers les symboles. Celle-ci, c’est la Pythie, assise sur son trépied, les fesses au chaud, mâchant du laurier hypnogène, sa paupière se clôt avant la transe cérémonielle, celle-là se fait chier, contre un horizon muré, sous un ciel bétonné, en elle fulminent des tas de petits orages, dont elle seule entend le barouf. Une troisième, joues de brugnon, cheveux filasse, short effrangé, corps comme une arcature florentine, sans tumescence ni chair autour. Des épéhélides sur le nez, on dirait des piqûres de guêpe. En voici trois, les fileuses de destin – et on ignore si leur sang a déjà coulé suivant les morts successives de la lune – trois devant la porte d’une cuisine, dans un jardin de banlieue, trois à lire au ciel la décrépitude de l’astre camphré qui les guide, à s’encamisoler sous leurs profuses toisons, naines ogresses pouilleuses cradingues chevelues, trois petirs chiens-de-fô chinois, babines retroussées sur crocs luisants, nez renflé comme une petite rave, les lèvres gonflées de tendresse hostile. Le regard de ceux qui ont fait ce livre nous restitue leur frêle densité, leur sauvagerie pure, leur violence amère, et nous offre une éternité d’adolescence impubère qui agace les dents comme du vin piqué ou de la confiture de rhubarbe sans sucre, et le paradoxe du sacré dispersé çà et là sur celles qui, hélas !, deviendront de profanes grandes personnes.

>> JEAN-PAUL DUMAS-GRILLET – GORDON C. LOOKS

INTERVIEW (extraits)

GL   Hopper, le lien est évident dans certaines photographies des façades de Rumford…

JPDG  Oui je vois, mais c’est moins une question de sujet que de matière. Il faut voir les tableaux de Hopper «en vrai » pour comprendre à quel point leur matière est somptueuse. Les paysages sont d’une sensualité inouïe. Il y a une profondeur extraordinaire dans le rendu des différents plans par ce jeu des matières, de la lumière, des ombres. L’espace est lui-même une matière dense, charnelle, palpable. J’ai vu dernièrement un gros livre sur Hopper. On y voyait des photographies et des peintures que l’on avait pensé pouvoir rapprocher de ses œuvres, du fait que les sujets étaient similaires (une femme à une fenêtre, une station service), alors qu’une asperge peinte par Manet, à mon avis, en est plus proche, si l’on considère l’expression de la matière, qui est un rapport au monde plus subtil. Les rapprochements entre les œuvres mettent presque toujours en évidence la proximité des sujets, rarement (jamais ?) un élément plus essentiel qui serait la similitude d’une vision. Si l’on peut penser à Hopper en voyant mes photographies, c’est dans ce sens. C’est aussi cette impression de communauté dans la quête d’un blanc, qu’il soit pictural ou photographique, ou encore cinématographique, un blanc qui serait la plus pure expression de la tangibilité de l’invisible.

GL   N’avez-vous jamais songé à être peintre ?

JPDG  Oui, mais c’était avant d’avancer assez dans la photographie pour ne plus du tout y songer. C’est passé par ces scanners, ces fax dont je vous parlais, ces images agrandies jusqu’à ce qu’on n’y voit plus que du gris, du blanc voilé, ou du noir, ce noir d’encre, si lumineux, si profond. Je m’en suis imprégné, et j’ai vu apparaître des mondes vertigineux qui n’avaient rien à envier à ceux explorés par la peinture. L’étrangeté supplémentaire de la photographie vient de ce qu’elle n’est au départ qu’un moyen d’enregistrement objectif du réel. Pour moi le réel, dans sa « radicalité », est plus déroutant que n’importe laquelle des interprétations qu’on peut en faire. Et je pense qu’il faut être dérouté pour avoir une chance d’élucidation.

GL   Pourtant, souvent, un artiste se distingue par son regard, sa subjectivité, l’interprétation qu’il donne du réel.

JPDG  La subjectivité ne m’intéresse pas. On ne peut pas l’évacuer complètement, mais se débarrasser de son point de vue sur les choses me paraît essentiel pour, peut-être, en connaître la nature, l’essence. Moins exprimer un contenu subjectif grâce à une machine qui enregistre, c’est aller dans ce sens, et c’est ce qui me fascine. En réalité, il y a toujours quelque chose au-delà de ce qui a été enregistré, ou plutôt de ce qui paraît avoir été enregistré à première vue, il y a d’autres « couches ». On le voit dans le film « Blow up » d’Antonioni. À mesure que l’image est agrandie, son principal intérêt, qui était d’avoir enregistré l’instant d’un crime (une preuve), se dissout dans une espèce de ciel immense où les amas de grains sont autant de constellations et de nébuleuses inaccessibles, et pourtant contenue dans l’image, mais moins sous la forme d’une feuille, d’un tronc, ou bien d’un brin d’herbe, reconnaissables, comme à première vue. Plus tard, si ma mémoire est bonne, en retournant dans le parc où la photographie a été prise, le photographe retrouve dans l’apparence habituelle des arbres, de la pelouse, et des buissons, cette insaisissabilité qu’il n’a pu reconnaître qu’en effectuant les agrandissements, en pénétrant les différentes couches de matière. À force d’effectuer ces opérations, on s’imprègne de ce qu’on voit, et aussi bizarre que cela puisse paraître quand il s’agit d’un moyen d’enregistrement mécanique, comme la caméra ou l’appareil photographique, la conversion du regard par ce qu’il a vu dans les profondeurs où il a plongé, nous livre un réel qui n’est plus fermé par les apparences, mais ouvert, de manière étourdissante. 

GL   Gilles Deleuze a dit dans son « Abécédaire », je crois à la lettre R – résistance – que « l’art consiste à libérer la vie que l’homme a emprisonné »… J’imagine que c’est quelque chose qui vous convient ?

JPDG  Oui. J’étais très ému quand, un jour d’été au temps maussade, séchant sur la vue d’une webcam de Jard-sur-Mer qui me bouleversait sans que je ne puisse en dire quoique que ce soit à la personne à qui j’écrivais, j’ai entendu ces paroles. Je trouve que ça peut s’appliquer à tous ces génies qui nous ont livré une parcelle éblouissante du monde, un jour, au mieux par surprise, et on s’est senti alors plus subtil, plus pénétrant – et aussi plus pénétré. Comme toujours, quand de telles épiphanies libératrices ont lieu, il y a un pouvoir qui cherche à établir un contrôle dessus. Ce qui est efficace, c’est de prendre l’apparence de ce que l’on veut contrôler, puis sa place.

GL   Profitons de ces derniers mots pour revenir à vos photographies… Qu’est-ce qui motive une prise de vue?

JPDG  Je ressens une émotion, je vois des lignes, des masses plus ou moins éclairées. J’appuie. Il m’est arrivé de passer cent fois devant ce que je viens de photographier sans le voir, c’est très étrange. Il y a une disponibilité à un moment qui fait qu’une présence se manifeste, rien de mystique, rassurez-vous, mais c’est habité, c’est une forme d’épiphanie – j’aime bien ce mot. Les jours suivants, il se peut qu’il n’y ait plus rien, ou bien il va y avoir un écho un certain temps. En fait, c’est assez basique. C’est mystérieux et basique.

 GL   J’aimerais aussi revenir aux photographies les plus récentes, celles que vous faites avec votre téléphone portable. J’en ai vu cinq, je crois, toutes en noir et blanc. Et j’ai lu le texte d’Heike Eipeldauer qui y consacre une large partie. Elle souligne le fait que ces photographies ont quelque chose de monumental, alors que le téléphone portable est en général plutôt utilisé pour des prises de vue anodines, des snapshots.

 JPDG  J’ai toujours détesté au plus haut point me déplacer avec un appareil-photo, faire des réglages si je veux prendre une photographie. Le téléphone portable – Heike Eipeldauer le dit aussi – est un prolongement de la main, c’est presque un pinceau ou un crayon, c’est directement lié à la pensée. Je pars donc, et je ferai peut-être une photographie, peut-être pas, mais, dans ma poche, il y a un appareil qui peut enregistrer une vision, c’est important, car les visions sont éphémères, on ne revient pas une autre fois, c’est impensable. Je crois que je serais encombré par un reflex dans cette approche, ce serait comme une intrusion. Et il n’y a pas de vision par effraction. Il y a aussi une autre forme d’effraction qui est la qualité technique des appareils actuels qui vont dans le sens d’une domination de la technologie sur la sensation. C’est une autre manière de pouvoir quand c’est l’appareil qui fait l’image pour vous. Mais enfin, tout ça est très mystérieux, et c’est difficile d’en parler, il y a un désir de trouver une faille, mais à la différence des grains qui laissaient des espaces entre eux, les pixels n’en laissent aucun, et quand on agrandit, on se trouve face à un mur de briques impénétrable. Le téléphone est un appareil photo rudimentaire sur le plan technique, mais c’est en même temps ce qui lui donne cette capacité à saisir comme par inadvertance. On ne pense pas trop longtemps à la photographie qu’on vient de faire. Il faut revenir au texte d’Heike qui en parle très justement.

GL   Il y a dans ces photographies une étrangeté dont on ne sait pas le seuil de quoi elle est…

JPDG  Ce n’était pas si clair quand je les présentais dans un format plus petit. Tout tient malgré tout un peu au hasard. Mon ami van Handel a pensé le premier que je devrais en faire des agrandissements de la taille de mes photos habituelles. J’ai commencé avec une photographie intitulée « La Réconciliation » qui me tenait à cœur, mais là encore, c’était un hasard. Je suis allé voir Vincent, quand le tirage a été prêt. Je ne sais pas quelle impression ça lui faisait à lui, mais la photographie, posée près de la verrière sur la table de présentation, dans une douce lumière, me donnait le sentiment d’être animée d’une imperceptible vibration. Cela était dû, je crois, à la juxtaposition de nombreux signes contraires. Des éléments étaient flous, d’autres nets, des parties de l’image flottaient, d’autres paraissaient gravées dans la stabilité de la pierre. Du fait de la rudimentarité de la captation, certaines zones avaient subi une dégradation de matière, quand d’autres en conservaient une trace encore fraîche et immuable. Cette stabilité suggérant un sentiment d’éternité, jouant avec la disparition programmée des éléments dans un retour certain à la poussière, produit un effet de basculement sur le point de se faire.

GL   Les photographies brutes prises avec le portable sont ensuite retouchées…

JPDG  Oui. Exactement retouchées. Quand quelqu’un m’a touché, j’aime bien qu’il me touche encore, qu’il me re-touche… Il y a un contact physique dans le fait de faire des photographies. Ce qu’on appelle retoucher, et qui est très vulgaire, sans doute, quand il s’agit de fabriquer une réalité (de la trafiquer), devient presque de la sculpture si on a le sentiment de partir d’une matière et d’en extraire une forme par le toucher. En ce sens, ce peut être très beau de retoucher, c’est une autre façon encore de dévoiler.

 >> JEAN-PAUL DUMAS-GRILLET – HEIKE EIPELDAUER (Kunstforum Wien)

Jean-Paul Dumas-Grillet entwickelt seine Fotografien in einer Dialektik des Zeigens und Verbergens. Seine konzentrierten, atmosphärisch dichten Bilder der letzten Jahre – es handelt sich um digitale Fotografien, die zwischen 2006 und 2009 entstanden – deuten oftmals den Blick aus dem Fenster an, wobei dieses zumeist als dunkle Rahmung oder als Einfassung durch ein Fensterkreuz angedeutet wird. Spätestens seit der Romantik evoziert das Fenster die subjektive Bedingung einer jeden Beobachtung – wir nehmen die Welt in Bildern wahr. Gleichzeitig hat kaum eine Metapher das Denken über Bilder so geprägt wie Leon Battista Albertis berühmter Vergleich des Bildes mit einem geöffneten Fenster, das den Durchblick auf eine sich jenseits der Bildgrenzen ausdehnende Welt freigibt. Diese Vorstellung geht von einer Transparenz des Bildes aus, die die Überwindung der Materialität des Mediums voraussetzt.

Wie ein Echo der tatsächlichen Bildgrenzen verdoppelt der Fensterrahmen den Bildausschnitt des Fotos als Spalt im Raumkontinuum. Er strukturiert das Blickfeld, dient als Einstieg ins Bild und impliziert den Blick von Innen nach Außen, von einem Kultur- auf einen Naturraum – lichte Schneelandschaften, Meeresoberflächen, amorphe, schwer fixierbare Naturphänomene wie Luft, Licht und Wasser, die optisch nach vorne drängen, um wieder zurückzuspringen. Oder es handelt sich schlichtweg um die karge 50er Jahre-Fassade, die der Münchner Wohnung des Fotografen gegenüberliegt, selbst durch Fenster strukturiert, die unseren „vorgerahmten“ Blick selbstreflexiv spiegeln. In der Schichtung von Rahmungen, Einfassungen und zart nuancierten Flächenformen erreichen die Fotografien zuweilen einen Grad an kompositorischer Bestimmtheit, der an Vorbilder abstrakter Malerei erinnert und von Dumas-Grillets Beschäftigung mit dem Malerischen als Dimension der Fotografie zeugt. Dennoch blitzen im abstrakten Bildgefüge immer wieder Spuren menschlicher Alltagshandlungen auf – so entdecken wir beispielsweise, dass das Fenster der gegenüberliegenden Fassade geöffnet ist

Dumas-Grillet entwirft seine Fotografien als Wechselspiel von Rahmungen und Durchbrechungen des Rahmens, als sukzessive Verschiebung von Grenzen. Nicht das Fenster als Motiv steht im Mittelpunkt, sondern seine Qualität als Schwelle der Sphären eines Davor und Dahinter, eines Innen und Außen, eines Gesehenen und Ungesehenen, die ihrerseits mit dem fotografischen Medium als vermittelndem „Dazwischen“ korrespondiert. Scheinbar nebensächliche Bilddetails – wie etwa ein Sticker – lenken den Blick auf die Bildoberfläche und fixieren das Paradox einer zugleich gegebenen und entzogenen Sichtbarkeit. Während der Rahmen als Grenze eine rigide geometrische Figur entstehen lässt, fungiert die Bildebene als eine fragile Zone, in der die Spannung zwischen transparenter Oberfläche und dem Schleier des Mediums immer wieder neu beschworen wird. Die Fotografie selbst ist einem Schleier vergleichbar, in seiner ambivalenten Struktur von Ver- und Enthüllen, von Präsenz und Absenz, von Mangel und Begehren. Davon zeugt auch die Begrifflichkeit der Fotografie, die von der Schleier-Metaphorik geradezu durchsetzt ist, wie der Künstler immer wieder betont: so bezeichnet das französische Wort „reveler“ (enthüllen) den Prozess, in dem das Fotopapier aus dem Entwicklerbad genommen und zum Bild wird; „voiler“ (verschleiern) steht für die ungewollte Belichtung, den diffusen Schleier der sich dadurch auf das Fotopapier legt usw. Wenn Dumas-Grillet seine Bildoberflächen zusätzlich mit einer darüber gelegten grauen Schicht eintüncht, so insistiert er darauf, dass der Schleier des Mediums nicht zu lüften ist, sondern im Gegenteil die Repräsentation erst hervorbringt: „La représentation est donc un voile, le voile une représentation.“ (1)

Mit seinen Portables erweitert Jean-Paul Dumas-Grillet seine Spurensuche seit 2008 um eine neue Dimension des Fotografischen. Ausgehend von Schnappschüssen mit seiner Handykamera, die er im Bewegungsmodus des Flaneurs unterwegs „einsammelt“, wählt er einzelne Bilder aus, bearbeitet sie anschließend am Computer und entwickelt sie in großformatigen S/W-Abzügen. Das Ergebnis sind Fotografien, die in ihrer Monumentalität und in ihrer starken sinnlichen Präsenz den Prinzipien der Handyfotografie diametral entgegenstehen. Dumas-Grillets Portables antworten auf die Revolutionierung des fotografischen Mediums durch die „Handyfotografie“ – ein epochales Massenphänomen, in dem die Geschichte der Fotografie als eine Beschleunigung des Bildermachens zu kulminieren scheint und das gleichzeitig einen radikalen Wandel in unserer Art und Weise, die Welt zu sehen, uns ihrer zu erinnern, einleitet. Das Fotohandy vereint die Funktion mobiler Erreichbarkeit mit der permanenten Verfügbarkeit einer Digitalkamera und trägt in diesem Sinn das Versprechen absoluter Gegenwart. Handyfotos zielen nicht mehr darauf ab, einzelne Lebensmomente als Erinnerungen für die Nachwelt zu speichern, sondern vielmehr Eindrücke im Vorübergehen einzufangen und gleichsam als Beweis der eigenen existenziellen Gegenwärtigkeit erfahrbar zu machen, um diese nachher allenfalls via MMS mit jemandem zu teilen oder wieder zu löschen. In der Unmittelbarkeit des Schnappschusses mit der Handykamera sind technisches und handwerkliches Know-how oder ästhetische Überlegungen zweitrangig, wenn nicht sogar kontraproduktiv, gilt heute ein amateurhaft verwackeltes, vermeintlich „intentionsloses“ Bild doch gerade als Indiz für Lebensnähe, Authentizität und Wahrhaftigkeit. Dumas-Grillet bricht mit der in der Handyfotografie zum Ausdruck kommenden utopischen Vorstellung, dass Bilder von alleine, gleichsam automatisch ohne mediale Übersetzung hervorzubringen seien. Er macht sich diese intuitive, vor-intellektuelle Beiläufigkeit des fotografischen Aktes zunutze und bedient sich der Handykamera gleichsam als Verlängerung der Hand, um bestimmter visueller Eindrücke habhaft zu werden; diese instrumentellen Fotos setzt er wie Skizzen als Ausgangspunkt seiner künstlerischen Setzungen ein. Durch die anschließende Arbeit am Bild wird aus dem direkten, unmittelbaren Ablichten der Wirklichkeit ein verzögerter, reflexiver Gestus. In einem aufwändigen Prozess der elektronischen Bildbearbeitung retuschiert Dumas-Grillet detailreiche Bildpartien und individuelle Zeichen wie etwa ein Türschild, akzentuiert Form- und Flächenverhältnisse, scharfe und unscharfe Bildpartien neu und führt schrittweise eine Distanzierung der Fotografien von ihrem konkreten Wirklichkeitsbezug herbei. Im Rekurs auf klassische Kompositionsmuster der Kunst gestaltet er seine Handyfotos zu Bildern von altmeisterlicher Kunstfertigkeit, die die strukturellen Ähnlichkeiten zwischen Fotografie, Malerei und Film beleuchten.

Dumas-Grillets Fotografien gewähren Einblicke in architektonische Innen- und Außenräume – Korridore, funktionelle Bauten, die auffallend entleert wirken und eine geradezu asketische Ruhe transportieren, bereinigt von Spuren menschlicher Präsenz und ganz im Gegensatz zur Handyfotografie, die sich überwiegend als „Menschen“-Fotografie definiert, eigentümlich anonym und menschenleer. Das Spiel von Licht und Schatten rhythmisiert den Blick, durch die Vergrößerung des Ausgangsmaterials werden zusätzliche Schichten von Grau, Weiß und Schwarz freigelegt, die den Abzügen eine sinnliche Oberflächentextur verleihen. Trotz der eingesetzten digitalen Techniken evoziert sie die Film-Haut der analogen Fotografie, französisch „pellicule“, in die sich die Realität als Lichtspur einschreibt. Mit dem Verlust dieser indexikalischen Materialität durch die Digitalisierung der Fotografie wird das Wirklichkeitsversprechen der Fotografie nachhaltig in Zweifel gezogen. Die immanente Unbestimmtheit der Portables schafft jene Spielräume und Potentiale, die über die manifeste Realität hinaus auf einen „Möglichkeitssinn“ (Robert Musil) verweisen. Die eindrucksvolle Monumentalität der Fotografien Dumas-Grillets verdankt sich nicht zuletzt jener Zurücknahme von Sichtbarem, die zu einer Essentialisierung und zu einer Verdichtung der schnappschussartigen Eindrücke der Handyfotos in einem entscheidenden Augenblick führt, in dem alles aufgehoben scheint.

(1) Jacques Derrida, Glas II: Que reste-t-il du savoir absolu?, Paris 1981, S. 355, zit. nach: Johannes Endres, Barbara Wittmann, Gerhard Wolf (Hrsg.), Ikonologie des Zwischenraums. Der Schleier als Medium und Metapher, München 2005, S. 15.

>> JEAN-PAUL DUMAS-GRILLET –HEIKE EIPELDAUER (KUNSTFORUM WIEN)

INSTANTANÉS ET MONUMENTALITÉ

Avec ses „Portables“ Jean-Paul Dumas-Grillet explore depuis 2010 une nouvelle dimension du procédé photographique. Il en résulte des photographies, qui dans leur monumentalité, leur présence, et leur sensualité, s’opposent diamétralement au principe courant de la phonéographie (photographies prises à l’aide d’un téléphone portable). Les „Portables“ de Jean-Paul Dumas-Grillet répondent à la révolution opérée dans la photographie avec l’apparition des „photophones“, phénomène de masse contemporain par lequel culmine dans l’histoire de la photographie la facilité à produire en grand nombre des images, en même temps que s’opère un changement radical dans notre manière de percevoir le monde et d’en garder la trace. Le photophone ajoute en effet à sa fonction première, qui est d’être en permanence joignable, un appareil photo numérique constamment à disposition, et porte, en ce sens, la promesse d’un présent qui ne nous échappe jamais. Le finalité de phonéographie n’est plus seulement de stocker des souvenirs de nos existences pour la postérité, mais plutôt, de capter des preuves éphémères de notre passage qui, si elles ne sont pas immédiatement effacées, seront partagées sur le champs via SMS avec un tiers. Dans cet opération hâtive, le savoir faire technique ou manuel, les considérations d’ordre esthétique deviennent secondaires, voire contreproductives. Et c’est désormais une photo d’amateur bougée, dépourvue à priori de toute intention, qui sera la marque du réel, de la vérité, proche de la vie. Jean-Paul Dumas-Grillet brise cette utopie spécifique à la phonéographie, que les images pourraient se produire par elles-mêmes, pour ainsi dire automatiquement, sans passer par une vision intermédiaire.

>> JEAN-PAUL DUMAS-GRILLET – ADRIEN GOETZ

Pour un observateur superficiel, les images de Jean-Paul Dumas-Grillet semblent avoir changé, depuis les Apôtres – qui irradiaient à l’exposition Portraits Visages de la BNF en 2003, où chacun tentait de deviner quel serait celui qui, des douze, se préparait à trahir – et sa série, plus récente, des Tombeaux. Il expose aujourd’hui des fenêtres, des formes qui traversent des vitres comme des apparitions, des rideaux à peine écartés, des surfaces planes et vibrantes. Un alphabet inconnu que le vent dessine à la surface de petites coupes remplies d’eau, reflets géométriques d’une architecture invisible, hiéroglyphes indéchiffrables peut-être nés du hasard. Table rase ? Ses Tombeaux échappaient au temps, évoquaient les photographies du XIXe siècle. Le regard pouvait se perdre à la surface de la feuille, distinguer de plus en plus de formes : cercles de rochers, chaos de pierres dans la montagne, découpés dans des cercles de papiers, avec une variété de noirs digne des gravures de Rodolphe Bresdin. Dumas-Grillet travaillait alors à la chambre, aimait les tirages à l’albumine, à l’or ou au platine, sur des papiers à l’ancienne. Lui qui avait commencé avec des polaroïds, isolant au milieu de séries l’image digne d’être montrée. Pour synthétiser ces deux extrêmes dans le travail photographique, il vient d’emprunter le chemin de traverse du cinéma. Il a pratiqué la vidéo, aime dans les webcams ce qu’il nomme « le côté filmé par personne ». Il veut dire l’image née du hasard, qui se forme sur un écran de surveillance et que seul l’artiste sait voir – et peut ensuite montrer.

Dans les photographies qu’il expose aujourd’hui, le doute s’installe. Une montagne gigantesque apparaît à travers la vitre d‘un wagon. Le sujet s’enfuit. Il a eu à peine le temps de le saisir – son vrai sujet c’est en réalité cet effacement du massif, du sujet « important ». Quand il montre une couverture blanche sur un lit, un rideau jaune, il tend à leur donner « des couleurs qui seraient comme des doutes de couleur ». Voilà ce que la caméra lui a appris. Fixer une image parmi des milliers d’autres, qui rend tangible cet instant insaisissable de la disparition des images. Devant chez lui, il a observé une fenêtre, pendant deux ans. Les locataires ont changé, le rideau a été remplacé, une femme inconnue un jour a laissé la fenêtre entrouverte, le vent a fait voler la draperie jaune. Entre les deux, la rue, le passage de la vie, la rumeur. Il a photographié cette fenêtre pendant des jours, comme si une webcam filmait, sans personne derrière l’objectif, un magnétophone qui tourne. Jusqu’à ce que se produise le moment juste. Celui de l’émotion. La seule image qui vaudra d’être capturée – et dans l’autre plateau de la balance, un immense déchet, que nul ne verra, une condensation, dont il ne demeurera qu’une trace. Il retrouve ainsi, en photographie, une sensation qui n’est pas le souvenir de la peinture – mais celui du cinéma.

>> LA VIDA ES SUENO – PASCAL FILIU-DERLETH  (Calderón de la Barca)

L’œuvre de Jean-Paul Dumas-Grillet va au-delà de la suppression du temps, propre à la photographie. Le monde est plein d’objets. Le sien est vide. Le regard se réduit aux lignes de l’architecture.

L’homme a disparu. Son absence est radicale. Les espaces de la série des « portables » paraissent avoir été créés sans lui. Il n’a jamais existé.

L’anomalie sémiotique qui en résulte (pas de signe sans producteur) projette le regard dans un ailleurs problématique. Par un effet en retour de cette re-présentation, il révèle l’étrangeté des artefacts et du réel, encore démultipliée par le passage au grand format.

Ce ne sont pas des ruines mais des univers parfaits, minéraux. La géométrie n’est pas sécrétée par nous, elle préexiste. Elle nous attend ou ne nous attend pas, comme cet escalier-podium qui ne mène nulle part, ce portique fermé de garage, ces deux portes, l’une fermée, l’autre seulement entrouverte dans une salle vide, ce photomaton nimbé de lumière qui n’aura jamais de sujet…

Le regard est attiré magnétiquement par la lumière qui inonde ces espaces vides et accentue leur déréalité. Sa transparence et son rayonnement mystérieux ne sont faits pour personne…

Il suffit au regard photographique d’un instrument aussi rudimentaire qu’un téléphone portable pour révéler l’étrangeté qui affleure en-deçà de notre perception toujours précipitée et illusoire de la réalité.

La problématique fondamentale qui transparaît n’est pas celle du « paradis ustensile », version moderne chez Roland Barthes de la critique du divertissement chez Pascal.

Le doute qui affleure dans la série des portables est de nature ontologique, au sens de Barthes attirant notre attention dans L’Empire des Signes sur le fait que le Palais impérial de Tokyo est une zone de néant au centre de l’organisme urbain.

Le regard de Jean-Paul Dumas-Grillet a précisément cette qualité taoïste d’interroger notre mortalité, le sens de notre existence, celui de nos constructions, la lumière elle-même, voire l’existence d’un Dieu caché, indifférent à l’homme, à travers une iconisation du vide.

>> DAS LEISE KLAPPERN EINER LIFTTÜR, DIE SICH SCHLIESST – MARION BIERLING

Jean-Paul Dumas-Grillet zeigt in seinen Fotografien menschenleere Eingänge, Durchhgänge oder Treppenhäuser in lebendiger Klarheit. Es scheint, als ob man noch die Schritte hört, die im Gang verhallen oder das leise Klappern der Lifttür, die sich schliesst.

Der Künstler friert die Zeit an Orten ein, an denen Menschen Momente en passant verbringen, oft gedankenlos und ohne die Besonderheit dieser Plätze wahrzunehmen. Interessant ist, dass er sie mit einer Handykamera aufnimmt. So wird aus einem „Snapshot“, der sich normalerweise auf Menschen richtet, ein Schnappschuss, der architektionische Details festhält. Damit verleiht der Fotograf seinen Plätzen eine spezielle Aura. Er erzählt von Situationen, die diese Orte erleben und von Menschen, deren Geschichten sich hier eingeschrieben haben, ohne sie zu zeigen.

Jean-Paul Dumas-Grillet schenkt unserer Alltagsumgebung eine völlig neue Aufmerksamkeit. Es geht ihm nicht um die Studie von Perspektive und Flucht, sondern um das Arrangement von Licht, Textur und Material. Mauer, Metall, Glas oder Stoff sind die Bausteine seiner Kompositionen. Eine Fläche schiebt sich vor eine andere und wirft Fragen auf nach dem, was sich dahinter verstecken mag.

Diese oft leicht unscharfen, flächigen Schnappschüsse unserer Alltagsarchitektur lassen vermeintlich Banales in neuem Licht erscheinen und geben dem Betracheter viel Platz für seine ganz persönlichen Projektionen.

>> LE CLAQUEMENT SILENCIEUX D’UNE PORTE D’ASCENSEUR DANS LE VIDE – MARION BIERLING (Collection d’Art Contemporain Gunther Sachs)

Jean-Paul Dumas-Grillet donne à voir dans ses photographies des couloirs, des halls d’entrée, ou des cages d’escalier déserts saisis dans une vive clarté, où l’on croit encore entendre le bruit des pas se perdre dans l’entrée, ou le claquement silencieux de la porte de l’ascenseur se refermer dans le vide. Il suspend le temps en des lieux où l’on ne fait que passer sans y prêter attention et sans en remarquer du moins les signes extraordinaires.

Ces photographies sont prises avec un téléphone portable. Ainsi, c’est au moyen d’un instantané d’ordinaire réservé à la photographie de souvenirs personnels qu’est saisie l’architecture inhabitée du quodidien. Cela confère à ces lieux une aura particulière. Et bien que rien ne soit montré, quelque chose se raconte de l’histoire de ces endroits où chacun de nous a écrit une part de sa vie.

Jean-Paul Dumas-Grillet pose sur notre environnement quotidien un regard absolument nouveau. Il ne s’agit pas pour lui d’en étudier la perspective ou les lignes de fuite, mais de saisir le jeu des lumières, des textures, et des matières qui se forment. Un élément de mur, du métal, du verre, constituent la pierre angulaire de sa composition. Les surfaces apparaissent et se dérobent, et posent la question de ce qui se cache derrière.

Ces instantanés souvent légèrement flous, qui mettent en évidence la profondeur de l’espace, présentent notre environnement supposé ordinaire sous une nouvelle lumière, et laissent à l’observateur une grande place à ses projections personnelles.

Un arrêt sur image alors? Peut-être, mais loin de chercher à capter le temps qui s’écoule, l’instantané atmosphérique, la sensation éphémère, la mobilité des êtres, c’est le temps suspendu qui s’impose ici. Images de silence, sans parole, à l’instar d’un écran de télévision sans le son. Le spectateur semble être séparé de l’espace dépeuplé, naturel ou urbain, par une vitre qui en étouffe les rumeurs; l’événement se situe hors de l’œuvre, de même que nous.

Le cadre neutre, quadrillé et d’un précision géométrique, endosse un rôle actif; les éléments de la composition deviennent des protagonistes à part entière, l’enjeu de l’œuvre se rabat sur la surface. Ces images prennent l’allure d’un décor de théâtre aux rideaux écartés où la mise en scène importe autant que le sujet. Tout rappelle le moment précédant la représentation. Mais ici, la représentation n’aura jamais lieu.

>> L‘ ÉNIGME AU CARRÉ (extrait) ITZHAK GOLDBERG

En paraphrasant la fameuse déclaration de Duchamp (le regardeur fait l’œuvre), on pourrait croire que chez Jean-Paul Dumas-Grillet le regardeur  invente plutôt l’histoire. C’est que ces photographies nous offrent des bribes de récits suffisamment universels pour permettre à tous et à chacun de s’y identifier.  De fait, derrière la fenêtre aux rideaux tirés un homme attend-il? Ce paysage brumeux enneigé cache-t-il des personnages? Et le lac est-il traversé par des bateaux? Pays inconnus et familiers, proches et lointains à la fois, paysages à la figure absente. Toutefois, ces lieux absorbés en eux-mêmes et reclus du monde, formant des ensembles clos et autosuffisants, suggèrent mais ne racontent pas, montrent mais restent désespérément muets.

Un arrêt sur image alors? Peut-être, mais loin de chercher à capter le temps qui s’écoule, l’instantané atmosphérique, la sensation éphémère, la mobilité des êtres, c’est le temps suspendu qui s’impose ici. Images de silence, sans parole, à l’instar d’un écran de télévision sans le son. Le spectateur semble être séparé de l’espace dépeuplé, naturel ou urbain, par une vitre qui en étouffe les rumeurs; l’événement se situe hors de l’œuvre, de même que nous.

Le cadre neutre, quadrillé et d’un précision géométrique, endosse un rôle actif; les éléments de la composition deviennent des protagonistes à part entière, l’enjeu de l’œuvre se rabat sur la surface. Ces images prennent l’allure d’un décor de théâtre aux rideaux écartés où la mise en scène importe autant que le sujet. Tout rappelle le moment précédant la représentation. Mais ici, la représentation n’aura jamais lieu.